Jeudi 3 juillet 4 03 /07 /Juil 06:25

Lundi 2 Janvier 2034

 

Il n’y a pas eu cours aujourd’hui. Personne n’aurait eu, de toute façon, le cœur à ça. C’est une hécatombe, une épouvantable hécatombe. On n’a plus ni pères, ni frères, ni oncles, ni amoureux, ni amis, ni copains. Il n’y a plus d’hommes. Ils tombent malades les uns après les autres. En deux jours – trois maximum – cette saloperie de virus les emporte. Eux.  Et uniquement eux. A la fac, sur huit cents filles, quatre seulement en comptent encore dans leur entourage. Ils se terrent chez eux dans l’espoir d’échapper à l’impitoyable contamination. A tout hasard. Parce qu’on ne sait rien des modes de transmission… La seule chose qu’on sache – qu’on soupçonne – c’est que le chromosome Y est probablement impliqué. On s’en serait douté… Les scientifiques – dans le contexte actuel exclusivement des femmes – répètent sur tous les tons qu’elles cherchent, qu’elles y consacrent tout leur temps et toute leur énergie. Ca coule de source. Et qu’elles sont sur le point de trouver, que d’ici quelques semaines on devrait disposer d’un traitement efficace. Ca, personne n’y croit. Et, de toute façon, il sera trop tard.

 

Les politiques sont désemparés. On a dû procéder en catastrophe, juste avant Noël, à un remaniement ministériel radical. Un gouvernement composé, par la force des choses, tous partis confondus, uniquement de femmes. De femmes d’exception. Il fallait qu’elles le soient pour faire face à une situation aussi dramatique. Elles la gèrent au mieux. On ne manque de rien. Tout fonctionne « normalement ». Mais elles ne peuvent évidemment  pas faire que ce qui est ne soit pas.

 

Je suis devenue un monstre d’insensibilité. Quand mon père est mort j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Quand Kerwan est mort aussi. Et Lucas. Et Silien. Et puis plus rien. On mourait autour de moi. On continuait à mourir à tour de bras. Ca ne m’atteignait plus. Je m’en fichais. J’étais ailleurs. Je suis encore ailleurs. Indifférente à tout. D’après Iliona – et ses livres de psycho – c’est une réaction parfaitement normale, un système de défense qui se met spontanément en place quand on est confronté à l’insupportable : ça  évite de sombrer dans la folie. Mais, du coup, je ne suis plus moi. C’est une étrangère qui m’habite. Et qui m’effraie horriblement…

 

 

 

 

Jeudi 5 Janvier 2034

 

Je n’ai plus de famille. Ou si peu. Ma grand mère… J’ai passé les vacances de Noël avec elle. Elle n’a aucune conscience de la gravité de la situation… Elle répète, sur tous les tons, que, par le passé, des millions d’hommes sont tombés sur les champs de bataille et que la nature a toujours compensé. « - Il naît de toute façon beaucoup plus de garçons que de filles. C’est pas pour rien » Elle, c’est la fonte des glaciers et la montée des eaux qui la préoccupent. «  - Tu te rends compte que La Rochelle risque de disparaître ? La Rochelle !… Où j’ai passé trente ans de ma vie. Où ta mère a rencontré ton père. C’est malheureux à dire, mais elle est partie à temps, tiens, ta pauvre mère ! A croire qu’il y a un bon Dieu et que s’il l’a rappelée à lui, il y a cinq ans, c’est pour lui éviter le désespoir de voir ses plus beaux souvenirs engloutis… Elle a ressassé La Rochelle – et la mort de ma mère – pendant quinze jours.

 

Ma tante Delphine, elle, fond en larmes dès qu’elle m’aperçoit, se jette dans mes bras en sanglotant qu’on va tous mourir. « - Les hommes d’abord et nous après. On veut pas nous le dire pour pas nous affoler, mais on va y passer. On va tous y passer. Mais je veux pas mourir, moi, je veux pas ! » Pour te remonter le moral rien de tel que tante Delphine. Quand elle te lâche enfin t’as plus qu’une envie c’est d’aller te foutre à l’eau.

 

Qui encore ? Ma belle-sœur Aglaé qui m’accable de reproches permanents. Si Lucas, son mari – mon frère – est mort, ma famille en est incontestablement responsable. C’est la nourriture qu’on lui a fait ingurgiter pendant toute son enfance et son adolescence qui est la cause de tout.

 

J’ai aussi une cousine – Bérénice – qui ne m’adresse plus la parole depuis des années. Je ne sais pas pourquoi. Elle ne le sait sans doute pas non plus.

 

Et c’est tout. Autant dire que je suis seule. Je ne suis pas la seule à être seule. On est toutes – toutes les filles que je fréquente – plus ou moins dans la même situation. Les femmes adultes de notre entourage sont, à quelques rares exceptions près, sous le choc. Tétanisées. Incapables de nous apporter quelque réconfort que ce soit. C’est nous qui, au contraire, devons les porter à bout de bras. Leur univers s’est effondré. Elles ont perdu tous leurs repères. Nous aussi. Mais nous, il faut qu’on regarde devant. Malgré tout. Il faut qu’on croie qu’on a un avenir. Ou qu’on fasse semblant. Sinon…
Publié dans : 2034
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