Mardi 22 juillet 2 22 /07 /Juil 14:49

Jeudi 26 Janvier 2034

 

Je me retrouve. Je me reconquiers. Pas à pas. Je m’approprie totalement la maison. J’en habite – j’en investis – chaque pièce l’une après l’autre. Ils n’y sont plus. Ils y sont encore. De moins en moins. Je me sens bien. De mieux en mieux. Je m’occupe de moi. Exclusivement de moi.

 

Il m’a fallu beaucoup de temps pour enfin me l’avouer. Et pour finir par l’accepter. C’était trop insupportable. Trop culpabilisant. Trop monstrueux. Mais, depuis la mort de Kerwan, je me sens libérée. Je respire. Voilà, c’est dit. J’étouffais avec lui. Je ne l’incrimine pas. J’en suis au moins aussi responsable que lui. Je me prêtais au jeu. Je collais au plus près à l’image de celle que je croyais qu’il voulait que je sois. Je me gauchissais, j’étais constamment sur le qui-vive : ce que je disais, ce que je faisais il allait en penser quoi ? Est-ce que ça n’allait pas me faire perdre son amour ? J’étais prête à tous les renoncements, à toutes les bassesses, à toutes les compromissions pour le conserver. Pour qu’il m’aime. Pour qu’il ne cesse pas de m’aimer. Et c’est moi qui ai cessé d’exister. Est-ce que c’est ça aimer ? N’être plus rien. Laisser l’autre être tout. Est-ce que je l’ai jamais aimé finalement ? Et lui, est-ce qu’il m’a vraiment aimée ?

 

- Ce qui est sûr en tout cas c’est qu’il aurait fini par te larguer… Monelle en est convaincue… - Ben oui !… A force de te gommer complètement comme ça t’aurais plus eu aucun intérêt pour lui. Trop transparente. Trop prévisible. Chiante. Dans le cas contraire aussi d’ailleurs : si t’avais affirmé ta personnalité, si tu t’étais pas laissé marcher sur les pieds, t’aurais été une emmerdeuse, une chieuse. Allez, hop, dehors pareil!… De toute façon un couple c’est forcé de se casser la gueule. Tôt ou tard. Suffit de regarder autour de soi. Ou alors si ça tient c’est rafistolé de partout et au moindre courant d’air tu peux être tranquille que tout va se retrouver par terre. L’amour ?… Tu parles !… Comment on se fait avoir avec ça. Ca existe pas. Ca a jamais existé. On l’a inventé de toutes pièces parce que c’était pas assez noble le sexe, pas assez pur. On valait mieux que ça nous les humains en Occident. On n’était pas des animaux. Alors il fallait bien trouver quelque chose pour le désinfecter le sexe. Pour le rendre propre. Et pas seulement ça. Puisque notre organisation sociale – il en existe d’autres et on peut en imaginer encore d’autres – s’est établie sur le partage équitable des femelles – à chacun la sienne – c’était la solution pour que les mâles n’aillent pas lorgner sans arrêt dans le pré du voisin et pour que nous, les femmes, on se sente attachées à notre propriétaire comme la chèvre à son piquet. Belle trouvaille l’amour ! Unique. Irremplaçable. Eternel. Unique ?… On a toutes été amoureuses des dizaines de fois… Eternel… Les trois quarts du temps ça dure à peine six mois. Et on y retourne tête baissée à la première occasion. Parce qu’on a été conditionnées à ça. Depuis des siècles. Depuis toutes petites. Ca fausse tout l’amour. Ca rend faux. Une relation vraie ça existe que si t’attends rien de l’autre et qu’il attend rien de toi…

 

Elle a peut-être raison. Elle a peut-être tort. Ou les deux à la fois. De toute façon maintenant ça n’a plus beaucoup d’importance. Dans les circonstances actuelles la question ne se pose pas. Ne peut pas se poser. Et je préfère croire qu’elle a raison. C’est plus rassurant. Moins désespérant.

 

 

 

 

Samedi 28 Janvier 2034

 

Mon père avait pris des dispositions pour que ses enfants ne manquent de rien au cas où il lui arriverait quelque chose. Et, normalement, je devrais toucher une coquette rente mensuelle qui me mettrait largement à l’abri du besoin au moins jusqu’à ce que j’aie fini mes études. Normalement… Parce que… on est des millions de femmes dont les pères ou les maris avaient pris leurs dispositions et les compagnies d’assurance sont dans l’incapacité absolue de faire face. Elles font valoir des circonstances exceptionnelles – c’est effectivement une clause mentionnée dans le contrat, en toutes petites lettres, au milieu de la sixième page des conditions générales -  et ne me verseront, chaque mois, qu’une somme dérisoire. L’Etat compte faire un geste dont la portée sera – il ne s’en est pas caché – très limitée. Et… je ne vois pas comment je vais pouvoir m’en sortir. Vendre la maison ? Ce serait un crève-cœur et puis je n’en tirerais pas grand chose : il y en a des milliers en ce moment sur un marché qui, vu les circonstances, s’est complètement effondré.

 

( 19 heures )

 

Zanella a hoché la tête… - Et encore t’es pas parmi les plus à plaindre… On était au café toutes les deux. On attendait les autres… - Parce que – garde ça pour toi, hein ! – , mais ma mère et moi on est loin de manger à notre faim tous les jours. Et pourtant elle gagne bien sa vie… Seulement quand on a payé le loyer et le chauffage… Sans compter l’eau qu’arrête pas d’augmenter… Je sais pas ce qu’on va devenir… Et on n’est pas les seules… Non… La seule solution, c’est la colocation… On s’installe à plusieurs et on partage tous les frais… On y pense, ma mère et moi… Seulement encore faut-il être sûr qu’on va s’entendre… Parce que si c’est pour se prendre la tête au bout de huit jours…

 

 

 

 

Mardi 31 Janvier

 

Monelle a tout de suite accepté… - Même si – tout est relatif – je m’en sors encore à peu près bien – pour le moment ! – je suis quand même un peu à l’étroit là-bas… Et puis plutôt que de rester chacune dans son coin… - Tu peux pas savoir ce que je m’en veux de pas y avoir pensé plus tôt… - On est toutes si chamboulées ces derniers temps… - Oui… Et puis laisser la maison en l’état sans rien bouger sans rien changer c’était un peu comme si je les attendais, comme s’ils pouvaient encore revenir… Comme si tout pouvait redevenir comme avant… Tu comprends ?… - Tu vas faire quoi pour ta copine et sa mère ?… - Je sais pas… Il y a quatre chambres… Dans un sens tout le monde y trouverait financièrement son compte et dans un autre j’ai peur d’être envahie… - C’est quel genre de fille ?… - Oh, bien… Le courant passe bien avec elle… Sa mère aussi… Je la connais un peu… Elle est pas chiante… Non, c’est pas ça le problème… - D’après ce que tu m’as dit de ta situation de toute façon un jour ou l’autre il va falloir que t’y passes… Autant que ce soit maintenant avec elles – que tu connais – que dans six mois avec n’importe qui parce qu’elles auront pris d’autres dispositions…

 

Publié dans : 2034
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