Vendredi 3 novembre 5 03 /11 /Nov 22:48

L A     P R E M I E R E     F O I S     D’A L E X

 

 

 

A quatre ans je suis tombé éperdument amoureux de Tina Modotti. De sa photo – son visage en gros plan, Hollywood, 1919 – encadrée, suspendue toute seule sur le grand mur blanc au-dessus du bureau de mon père… - C’est qui la dame ?… - C’est compliqué… Elle te plaît ?… Si elle me plaisait ?… Assis par terre, à ses pieds, je restais plongé des après-midi entières dans ses yeux… - Elle viendra nous voir un jour ?… Il souriait… - Je crois pas, non…

 

 

A force de la fixer, là, sous son chapeau bizarre, quelquefois ses lèvres semblaient vouloir s’entrouvrir pour me dire quelque chose, me confier un secret… C’était quoi ce secret ?… - Si c’est un secret, c’est un secret… Il a reposé son stylo… - Elle te le dira peut-être un jour si tu sais attendre… Et j’ai attendu…

 

 

A six ans, quand il est mort, qu’on m’a demandé ce que je voulais à lui, de lui, pour le garder toujours je n’ai pas hésité une seule seconde… Et on l’a installée dans ma chambre juste en face de mon lit… Pour moi tout seul… Elle est devenue ma confidente… Je lui disais tout… Chaque soir, en rentrant de l’école, je m’installais face à elle et je lui racontais ma journée… Mes joies… Mes doutes… Mes chagrins… Mes désespoirs… Elle m’écoutait… Sans jamais se lasser… Avec bienveillance… Elle ne me jugeait pas… Elle ne me grondait pas…

 

 

Plus tard mes premiers élans amoureux elle les a compris, mes premières déceptions elle les a consolées… Au fil du temps il s’était tissé entre nous quelque chose hors de tout que personne ne pouvait comprendre… Que je n’essayais pas d’expliquer… Quand un camarade en visite m’interrogeait… - C’est qui là-haut ?… je prenais l’air mystérieux, lointain, de celui qui sait, mais qui ne peut rien dire… Il n’insistait pas… Nous étions seuls – elle et moi – à pouvoir savoir notre passion partagée…

 

 

Le bureau de papa était resté en l’état… Exactement comme au jour de sa mort… J’y allais quand j’avais besoin d’un livre, d’un dictionnaire, d’un document quelconque… Au début je m’en emparais très vite et je m’enfuyais… Et puis, peu à peu, j’y ai passé de plus en plus de temps… J’ai progressivement apprivoisé son fauteuil, ses tiroirs, ses rayonnages que j’ai explorés méthodiquement…

 

 

Et puis un jour… C’était un grand album pas très gros, à la couverture lie-de-vin, qui s’intitulait tout simplement : « Edward Weston » en lettres dorées… Je l’ai feuilleté machinalement… Et refermé d’un seul coup le cœur affolé… Non… Sûrement j’avais rêvé… Ce n’était pas possible… Réfugié dans ma chambre, je l’ai interrogée… - C’est toi ?… Est-ce que c’est toi ?.. Elle n’a pas répondu… Elle s’est contentée de sourire…

 

 

J’y suis retourné le lendemain… Il fallait que j’en aie le cœur net… Et oui… Oui… C’était elle… Tina sur l’azotea, 1923… Allongée toute nue, à même un dallage blanc, endormie, une main sous l’omoplate… Il y en avait d’autres : Nu, Tina, 1924. Sur une couverture effrangée, de face, une jambe légèrement repliée… Nu, Tina, 1924 : sur la même couverture, mais à genoux, légèrement de côté, les fesses offertes…

 

 

Dans la chambre je lui ai agité le livre sous le nez… - Qu’est-ce que c’est que ça ?… Tu peux m’expliquer ?…Ah, tu t’en étais pas vantée, hein ?!… Elle n’a pas baissé les yeux, mais son sourire s’est fait extraordinairement lumineux… Et d’un seul coup j’ai compris : le secret !… On y était le secret… En plein cœur… C’était ça… C’était donc ça !… Et je me suis déshabillé… C’est elle qui l’a demandé… Tout nu, moi aussi… Elle m’a regardé faire sans un mot…

 

 

Et puis je me suis assis à ma table sous son portait, j’ai ouvert le livre et je suis allé de l’un à l’autre… de son portrait aux photos… des photos au portrait… Sans arrêt… Longtemps… C’est venu tout seul… Sans toucher… Sans rien faire… Un premier plaisir… Ample…Profond… Elle a regardé jusqu’au bout… Dans ses yeux il y avait quelque chose qui avait l’air content…

 

 

Et on a été noués pour toujours… Indissolublement… Je me suis mis obstinément en quête d’elle… Partout et tout le temps…Tout ce que j’ai pu trouver comme photos, livres, documents, je m’en suis emparé… Quelquefois à prix d’or… Pas un, je crois, qui m’ait échappé… Je sais tout d’elle… D’elle et de ce qui a fait sa vie… Elle m’aura accompagné tout au long de mon existence… Sans jamais me faire défaut… Et si elle reste éternellement jeune et belle, si elle continue à vivre, à séduire, à êtredésirée, c’est aussi – surtout ? – à moi qu’elle le doit…

Par François - Publié dans : Premières fois
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