Lundi 28 juillet 1 28 /07 /Juil 06:49

Dimanche 12 Février 2034

 

Depuis le début des « événements » on n’avait encore pas vu le moindre reportage détaillé sur la vie que mènent les hommes dans les centres. Pourquoi ? Mystère. Sans doute avait-on de bonnes raisons en haut lieu. Qu’on n’a pas jugé bon de nous communiquer. Mais, depuis hier, brusquement, ils fleurissent un peu partout. On nous fait tout visiter jusque dans les moindres recoins. Dans l’immense majorité des cas ce sont des maisons de retraite – ou de petites structures hospitalières – qui ont été reconverties à la hâte. Les « pensionnaires » y disposent le plus souvent d’une chambre individuelle, se retrouvent, s’ils le souhaitent, au réfectoire pour prendre leurs repas en commun ou au salon pour jouer aux cartes, regarder la télévision ou feuilleter des revues. En réalité ils restent presque tous confinés dans leur chambre et s’évadent sur Internet où ils dialoguent à tour de bras. Ce qu’on peut comprendre : c’est le seul moyen pour eux de garder contact avec le monde extérieur.

 

Il est évidemment hors de question qu’ils mettent le nez dehors. De quelque façon que ce soit. C’est, à ce qu’ils disent quand on les interroge, ce qui leur manque le plus. Pouvoir flâner, le nez au vent, dans les lieux qui leur sont familiers. Se fondre dans la foule. S’étourdir du spectacle de la rue. Aller et venir comme bon leur semble. Où bon leur semble. Etre tout simplement libres.

 

Ils sont prisonniers. Condamnés à la réclusion à durée indéterminée. Et c’est le virus qui fait office de juge d’application des peines. C’est lui qui décidera, au bout du compte, de leur élargissement. Les uns se montrent philosophes… - Il faut attendre… Il finira bien par y avoir une solution… D’autres fanfaronnent… C’est la vie de château… Rien à foutre de toute la journée… Pas de chef qui hurle… Pas de femme qui vous prend la tête… Le rêve… Ah, si ça pouvait durer !… Et puis il y a ceux qui font peine à voir. Et à entendre. Pour qui la situation est à proprement parler insupportable. Qui se laissent tout doucement glisser, par lassitude, ennui et désespoir vers la mort qu’on a voulu leur éviter.

 

 

 

 

Mardi 14 Février 2034

 

Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais c’est impossible. Impossible de nouer le dialogue, sur Internet, avec aucun d’entre eux. Nulle part. Ils sont submergés. Des milliers de filles font la même chose. Pourquoi nous privilégieraient-ils, nous, plutôt que n’importe quelle autre ? Le seul qui nous ait fait l’aumône d’une réponse a été on ne peut plus clair : - Désolé, mes pauvres chéries, mais j’ai 983 demandes en attente. Alors !…

 

Alors, à défaut, on se rabat sur le site du centre de Strasbourg – un immense centre : 1600 pensionnaires – qui diffuse en continu. Des caméras ont été installées dans les salles communes, à la demande des familles et avec l’accord des intéressés. Il suffit de se connecter pour les voir parler, bouger, vivre. On y passe des heures. A tour de rôle ou ensemble. C’est sans aucun intérêt. Ca en a pourtant beaucoup. Parce qu’ils existent. Parce qu’on les voit exister. Il n’y a plus d’hommes. Nulle part. On n’en croise plus. On n’en côtoie plus. Jamais. Les films… Oui, il y a les films. Et on y trouve souvent notre compte. Mais c’est mort. C’est d’avant. Quand tout était autrement.  Et ça laisse un drôle de goût d’amertume dans la bouche. Plus le temps passe et plus ça nous manque de les avoir là, tout simplement, autour de nous. De les savoir là. D’être au milieu d’eux. Même sans les connaître. Même sans leur parler. Alors on les regarde, là, sur l’écran. C’est toujours mieux que rien. Ils sont là. Ils sont vivants.

 

 

 

Vendredi 17 Février 2034

 

Hier soir, sur le coup de 10 heures, on a vu débarquer Iliona… - Vous savez pas ce qui m’arrive, les filles ?… J’ai planté mon ordi… Et faut absolument que je me connecte avec Alex… Elle s’est installée, d’autorité, devant l’écran… - Qu’est-ce que c’est que ça ?… Qu’est-ce que vous faisiez ?… C’est pas vrai que vous en êtes là ?… Eh ben dis donc !… Bon, alors qu’est-ce qu’il fout ce con ?… Ah, le voilà !… Vous pouvez me laisser ?… C’est perso ce qu’on a à se dire tous les deux… On s’est réfugiées toutes les trois dans la chambre de Zanella… - Quelle conne !… Non, mais quelle conne !… Qu’est-ce que vous pariez qu’il est seulement pas en panne son ordi ?… Que c’est juste histoire de venir nous narguer avec son Alex… - Heureusement qu’elle est pas venue habiter avec nous… Je l’aurais pas supportée… - Oui, ben alors là moi non plus… - De toute façon, elle, sa mère elle a les moyens… - Même… même… C’était complètement hors de question…

Publié dans : 2034
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