Lundi 16 juillet 1 16 /07 /Juil 06:45

L A     L U B I E ( 8 )

 

 

 

- Tu as une mine superbe ces derniers temps… Vraiment superbe, je t’assure !… Tu es - comment dire ? - épanouie… Oui, c’est ça, épanouie…

Haussement d’épaules. Sourire. Regards qui s’attardent sur les gens dehors…

- Qu’est-ce qui se passe ?… Hein ?…

- Rien… Oh, rien de spécial… Je me sens bien en ce moment, c’est vrai… Pas mal…

Au fond de la salle des rires éclatent. On s’interpelle.

- Tu sais à quoi tu me fais penser ?… Au tout début de ton mariage… Tu as le même air… Les mêmes expressions… Quelque chose dans le regard… Ca arrive quelquefoisdans les couples… Comme une seconde lune de miel… Alors comme ça avec Guillaume…

- Ca va, oui… Ca va…

La petite cuiller heurte le rebord de la tasse, ricoche sur l’angle de la table… Elle se penche pour la ramasser…

- Faut dire qu’avec Guillaume tu as vraiment trouvé le mari idéal… Et tu as beaucoup de chance… Parce que quand je pense à la comédie que tu nous avais faite pour…

- Ah oui, à propos, tu sais que Sandrine est rentrée ?

- Rentrée ?

- Oui… Depuis jeudi… C’est complètement fini son histoire… C’était à prévoir d’ailleurs… Comme quoi on a rudement bien fait finalement de pas la prendre de front… Avec le caractère qu’elle a on l’aurait braquée c’est tout ce qu’on aurait gagné…

- Oui, enfin ça !…

 

 

- Alors là c’est la meilleure !… Tu es complètement folle !…

- Tu peux pas comprendre…

- Je peux pas comprendre… Je peux pas comprendre… ce que je comprends quand même c’est que ce type t’a à moitié démolie il y a pas huit jours et que tu es en train tranquillement de me dire que tu retournes t’installer avec… Tu y cours même…

- C’est pas si simple…

- Simple ou pas tu viendras pas te plaindre après…

- On s’est expliqués… On a parlé…

- Et tu imagines que ça va suffire ?

- Mais oui !… Richard, tu sais, il est pas du tout comme ça au fond… Ce serait même plutôt le contraire…

- Il le cache bien, dis donc !

- Ecoute… Je voulais pas t’en parler, mais c’est vrai que je suis pas toute blanche non plus… Il y a des choses que…

- Que quoi ?

- Richard il est très bien pour tout un tas de trucs… On a plein de points communs ensemble… Et forts… On échange beaucoup, mais bon… au lit il est complètement nul… Ca compte, ça, pour moi… Beaucoup… Et l’autre jour quand il est rentré on l’attendait pas avec David… Il a pas supporté… J’ai répondu… Je lui ai dit des trucs qu’il est pas près d’oublier… Alors du coup…

- Mais enfin, Sandrine, est-ce que tu te rends compte ?

- Quoi ?

- Tu vis avec Richard et en même temps tu vas te… Comment veux-tu après ça que Richard… Enfin est-ce que tu as seulement réfléchi une seconde ?

- Ecoute, maman, sur ce sujet-là tu n’es quand même pas la mieux placée pour me faire la morale, tu crois pas ?

- Pardon ?

- Non, rien… J’ai rien dit…

- Aie au moins le courage d’aller jusqu’au bout maintenant que tu as commencé…

- J’ai quand même pas les yeux dans mes poches, écoute !

- Ce qui veut dire ?

- Si tu crois que ça se voit pas avec Antoine !

- Tiens, celle-là au moins tu l’auras pas volée !…

 

 

- Mais enfin, Guillaume, tu as vu l’heure ?!

- Oui. Neuf heures et demi…

- Et c’est tout ce que tu trouves à dire ?… Tu me demandes pas où j’étais ?

- Où tu étais ?

- Chez mon amant…

- Ah bon, tu as un amant ?

- C’est ça, fais de l’humour en plus !… Si j’en avais un, je suis bien tranquille que tu ne t’en apercevrais même pas… C’est quelque chose avec toi, je t’assure !… On sait jamais sur quel pied danser… Il y a des jours où on peut pas lever le petit doigt sans sans déclencher aussitôt des cataclysmes, sans que tu fasses des histoires pas possibles pour rien… Si on fait noir c’était blanc… Si on fait blanc c’était rouge… Et des jours où on dirait que tu te fous complètement de tout… On pourrait bien aller poser des bombes dans les supermarchés ça te serait complètement égal… Tu continuerais à mener ta petite vie tranquillement comme si de rien n’était… Je ne sais pas si tu te rends vraiment compte de ce que c’est que de vivre avec toi… De devoir supporter tes sautes d’humeur au quotidien, de ne jamais savoir comment tu vas prendre les choses, ce que tu vas en penser ou en dire… C’est insupportable… Il y a des moments où on ferait n’importe quoi pour échapper à ça, pour pouvoir respirer un peu… Mais tu trouverais encore le moyen de démontrer par a plus b que tu n’y es pour rien…Alors !

 

 

- Tu es toute seule ?

- Ben oui, tu vois…

- Excuse-moi pour l’autre jour… J’étais…

- Laisse tomber… Ca fait rien… J’en suis plus à une baffe près…

- Et avec lui comment ça va maintenant ?

- Ca va… Très bien même…

- De toute façon je suis bien tranquille que tu le dirais pas…

- Mais si !

- Ca a bien avancé, dis donc, ici !

- Oui, cette fois c’est pratiquement fini… C’est pas trop tôt…

- Vous en avez drôlement bien tiré parti…

- Oui… On est assez contents…

- Et tu as décidé quoi pour David ?

- Tu veux du thé ?

- Non… Non, merci… Je suis juste passée comme ça en coup de vent voir comment tu allais… On est mardi… Ta grand mère m’attend… Tu vois ça d’ici si je suis en retard ?!

- J’imagine…

- Bon… Eh bien je vais te laisser… Dis, Sandrine…

- Oui ?

- Je voulais te dire… C’est fini avec Antoine… Complètement fini…

- Et t’es sûre que c’est ce que tu fais de mieux ?

 

 

 

 

Par François - Publié dans : regards.croises
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Jeudi 12 juillet 4 12 /07 /Juil 05:33

L A     L U B I E ( 7 )

 

 

 

- Mais qu’est-ce qui t’arrive ?

- Rien. Rien. T’as un mouchoir ?

- Mais qu’est-ce qui se passe enfin Sandrine ? Réponds-moi ! Qu’est-ce qui t’a mis dans un état pareil ?

- Mais rien !… Laisse !… Ca va passer…

- Tu as des ennuis ?

- Non… Mais non !

- C’est Richard ?

- Non… Oui… Quel con !

- Vous vous êtes disputés ?

- Si tu savais tout ce que j’ai pas entendu ! Jamais je lui pardonnerai. Jamais. Alors là il peut toujours courir…

- Il est où ?

- Parti… Il va faire quinze fois le tour du quartier et puis il rentrera quand il en aura marre… N’importe comment il peut bien faire ce qu’il veut… Si tu savais ce que je m’en fous…

- Mais qu’est-ce qu’il y a eu ?

- Rien… Oh, rien… Des conneries…

- On se dispute pas pour rien quand même !

- C’est à cause de David… Il faut toujours qu’il aille imaginer des tas de trucs… Oh, laisse tomber, j’te dis !… Ca fait rien…

 

 

- Non, Antoine, je suis sérieuse, écoute !

- Moi aussi. Si tu voyais tes yeux ! Ils sont tout cernés de plaisir. Et ce n’est pas fini. Je vais t’épuiser, je vais te…

- Arrête ! Réponds-moi !

Il s’immobilise, mains en coques sur ses seins

- Mais qu’est-ce que ça peut faire ?

- Dis-moi ! Tu veux pas me dire ?

- Ca n’a pas d’importance…

Entre le poce et l’index il emprisonne la pointe

- Non… Attends ! Elle a quel âge ?

- Vingt-trois. Jamais je n’aurais dû te dire, te parler d’elle… Maintenant tu vas sans arrêt…

- Et tu l’aimes ?

- Est-ce que je sais, moi ?… Allez…

- Non. Lâche-moi ! Et pourquoi tu es avec moi alors ? Elle te suffit pas ?

- Je suis bien avec toi…

- Ce n’est pas une réponse. Elle a ton âge. Elle est sûrement jolie. Elle est jolie ?

- Oui. Allez, fiche-lui la paix, écoute !

- Alors je t’apporte quoi, moi ?

- Tu es toi…

- Ca veut rien dire…

- Et moi alors ? Je t’apporte quoi ? Tu as bien ton mari, toi, non ?

- Mais ça n’a rien à voir enfin, Antoine ! On peut pas comparer…

- Ah bon !

- Bien sûr que non ! Ce n’est pas du tout la même chose !

- Ah !

- Mais non, mon mari, il…

- Il ?

- Non. Rien. Zut. Ca m’agace.

- Allez, viens, va !

Ses lèvres se font douces aux contreforts du sein. Elle pose sa main dans ses cheveux, les lisse, caline…

- Quand même c’est pas pareil !

- Viviane, je t’apporte quoi, moi ? Tu m’as pas dit…

- Tu es un monstre…

 

 

- C’est toi, Sandrine ? A cette heure-ci ! Mais qu’est-ce qui se passe ?

- Il m’a foutu une trempe…

- Qui ça ?… Une… Oh là là, mais tu es dans un état ! Fais voir, mais fais voir ! Tu as mis que chose dessus au moins ? Viens ! Viens dans la salle de bains… Tu peux pas rester comme ça… Attention ! Ton père dort… Non, mais quelle ptite brute !… Ca te brûle ?… Ca peut pas durer comme ça…

- Oh, pour ça t’inquiète pas ! Cette fois c’est fini. Et bien fini. J’en ai marre de passer pour une conne. Demain je récupère mes affaires. Et bonsoir. Antoine m’aidera…

- Je te fais mal ? Non ? J’ai cru. Enlève-la, va, ce sera plus commode…

- Antoine ou un autre. J’emmène tout. Et terminé. Je veux plus en entendre parler. J’ai assez donné…

- Eh ben dis donc il t’a drôlement arrangée !

- Parce que cette fois ça commence vraiment à bien faire… S’il s’imagine qu’il va pouvoir me cogner dessus comme ça à tout bout de champ quand il en a envie !… Qu’est-ce que j’y peux, moi, si les types me regardent ? Je vais quand même pas me défigurer pour passer inaperçue ! Et tous les jours : T’étais où ? Qu’est-ce que t’as fait ? Et t’as vu qui ? Et après ton cours d’anatomie t’es allée où ?

- Bouge pas tant !

- Et demain tu as quoi ? T’avais rien la semaine dernière… Comment ça se fait ? Et merde à la fin ! J’ai plus huit ans. J’en ai ma claque, moi, vraiment ma claque…

- Là… Là… Ca ira… Et si tu essayais d’aller dormir maintenant ? Ce n’est pas en t’énervant comme ça que ça y changera quelque chose… Ton lit est fait… Rien n’a bougé là-haut… Essaie au moins ! Demain il fera jour… On verra comment on s’organise…

Par François - Publié dans : regards.croises
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Lundi 9 juillet 1 09 /07 /Juil 05:36

L A     L U B I E ( 6 )

 

 

 

Antoine élève le sucre très haut et de là-haut - au-dessus - il vise longuement d’un œil… Il le lâche au beau milieu de la tasse…

 - T’as vu ça ?… Bon, le mec !...

Le thé déborde… Dans la soucoupe… Sur les draps… Eclabousse tout… Jusque sur l’oreiller… D’un bond elle se réfugie, jambes repliées, au bord du lit…

- Idiot !… Tu l’as fait exprès !…

- Oui…

- Quel gamin tu fais !… Tout est trempé maintenant…

Il rit, l’embrasse, rit, se drape dans la couverture et fait Sandrine… L’attitude, la démarche de Sandrine… Buste en avant, tête haut levée de la fenêtre au lit et du lit à...

- Arrête !… Que tu es bête !

Fait la voix de Sandrine : « - Vous en avez mis un temps !… Tu es sûre qu’il a tout compris… Qu’il va pas couper les pieds de sa sœur ? »

- Tu es vraiment infernal !

- Tu m’en as expliqué des choses ce jour-là, hein ?

- Tais-toi !… Dis, Antoine ?

- Oui ?

- On est fous… On est complètement fous… Quelle idée de se retrouver ici !… Tu te rends compte si je tombe sur elle en descendant d’ici tout à l’heure ?… Non, mais tu imagines ?

- Tu lui diras : Ah ben ça alors par exemple, Sandrine !… Quelle bonne surprise !… Qu’est-ce que tu fais par là ?

- Tu peux jamais être sérieux...

- Jamais. Non. C’est vrai…

Il la renverse sur le lit, la couvre de baisers, la…

- Encore !… Tu es fou !

- Encore, oui !

 

 

- Mais enfin comment as-tu pu faire une chose pareille ?… Cette fois ça dépasse vraiment tout ce qu’on peut imaginer… J’espère au moins que tu t’en rends compte ?

- Il ne faut rien exagérer… Ce n’est quand même pas…

- Tu ne vas quand même pas chercher à justifier ça, non ?… Ce serait la meilleure…

- Ecoute, maman, s’il te plaît…

- J’écoute… J’écoute…

Furieuse elle mord du regard autour d’elle, le couple à côté, la serveuse entre les tables et les gens sur le trottoir au-dehors…

- J’écoute… J’attends… Et je suis curieuse de savoir ce que tu vas bien pouvoir inventer cette fois-ci pour avoir raison… Puisque tu trouves toujours des arguments pour tout justifier… Et n’importe quoi…

- Mais il ne s’agit pas d’avoir tort ou raison !…

- C’est bien ce que je disais !… Alors j’apprends comme ça, en pleine rue, - et par l’autre imbécile en plus - j’apprends que ma propre petite fille affiche une liaison   - parce que je ne vois pas comment tu peux appeler ça autrement - que je suis la dernière à être au courant et tu as le culot de venir me dire en face que tu trouves ça normal…

- Mais non, écoute !… L’occasion ne s’est pas présentée, c’est tout !…

- Ben voyons !… On se voit tous les mardis, mais je suppose que ça ne t’est seulement pas venu à l’esprit de m’en parler… C’est bien ça ?… Est-ce que tu te fiches de moi ?…

- Mais enfin, maman, aujourd’hui…

- Tu veux que je te dise ?… Tu savais très bien ce que j’en aurais pensé… Et tu penses la même chose… Seulement ça fait moderne aujourd’hui d’avoir l’air de tout accepter… De passer sur tout… Et comme de toute manière tu n’as jamais été capable d’obtenir quoi que ce soit de ta fille et que ce n’est sûrement pas maintenant que ça va s’arranger tu n’as pas d’autre solution que de faire semblant d’approuver…

- Richard est quelqu’un de très bien, tu sais. Il…

- Oui. Eh bien ça permets-moi d’en douter : vous n’en seriez pas là !… Franchement… Que toi encore tu sois incapable de… Bon. Passons. C’est pas nouveau. Mais Guillaume !… Un homme quand même je sais pas, moi, il a les moyens de se faire entendre, d’imposer sa volonté… Quand ton père…

- Ah, je t’en prie, maman, laisse papa en dehors de ça !

- C’est pourtant la vérité. Ton père quand ça t’a pris ce coup de folie pour ce Sylvain… Tu avais quel âge déjà ?

- Je t’en prie, maman !

- Mais oui, tu avais son âge… Un peu plus même puisque c’était l’année de Concarneau… Eh bien ton père ça ne l’a pas empêché d’employer les grands moyens puisque tu ne voulais rien comprendre d’autre… Age ou pas âge… Et ça n’a pas traîné…Je suis bien tranquille que tu t’en souviens encore parce que des choses comme ça on ne peut pas…

- Ca suffit, maman !

- C’est pourtant la vérité !… C’est quand même curieux que tu aies toujours été incapable d’entendre la vérité !

 

 

- Alors ?… Hein ?… Comment tu trouves ?

Le parasol étend som ombre bleutée et douce. Les garçons s’activent, discrets, silencieux.

- C’est bien… Oh oui, c’est très bien…

- Ca te plaît ?… Et tu verras là-haut la chambre… Tu verras !

A la table au-delà de son épaule il y a un autre couple… La fille toute en blanc… Le garçon penché sur elle…

- Ce sera notre endroit à nous, rien qu’à nous… Pourquoi tu souris ?

- Parce que… pour rien… comme ça… la façon dont tu en parles…

Derrière lui ils s’embrassent par dessus la table, se murmurent quelque chose…

- Ils pensent quoi, tu crois, pour nous ?

- Qui ça ?

- Les gens… Les clients… Les serveurs…

- Ca n’a pas d’importance ce qu’ils pensent… Qu’est-ce que ça peut faire ?

- Oui, mais quand même !… A ton avis ?

- La vérité sûrement…

- La vérité ?

- Que tu es une petite madame qui vient retrouver son amant en cachette…

- Ce n’est pas vraiment ça… Non, nous ce n’est pas ça, hein ?!

- Mais non bien sûr… C’est ce qu’ils croient…

- Ils sont jeunes, tellement jeunes. Ils se tiennent les mains, se sourient… Il la regarde…

- Viviane, à quoi tu penses ?

- A rien… A rien de spécial…

Ils sont dans les yeux l’un de l’autre, lumineux

- Antoine ?

- Oui ?

- Tu as une amie ?… Une autre amie ?

- Que tu es bête !… Finis ton café, idiote !

Par François - Publié dans : regards.croises
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Jeudi 5 juillet 4 05 /07 /Juil 07:06

L A     L U B I E ( 5 ) 

 

 

 

- Mais oui, maman, je sais… je sais !… Tu me l’as déjà dit cent fois… Entre plutôt… Tu connais Richard… Vous pouvez vous embrasser maintenant quand même, non ?!… Lui, là, c’est Antoine… Un copain qui habite juste au-dessus… Enfin au-dessus du dessus… Il nous aide pour l’installation, l’électricité, repeindre la cuisine, tout ça… Heureusement qu’on l’a, sinon… Lâche ton pinceau deux minutes, Antoine !… Viens avec nous : on va se boire un thé… Quand il est lancé, lui, plus moyen de l’arrêter… Alors comme ça papa n’a pas voulu venir avec toi ?…

- Mais non, Sandrine, enfin, non !… Pas du tout !… Qu’est-ce que tu vas chercher ?… Non… Seulement, comme par un fait exprès, juste au moment où on allait partir voilà Lambert qui s’amène… Tu connais Lambert : ils y seront encore ce soir… Du coup je suis venue toute seule… - Non, Richard, non… Au-dessous le thé… Derrière le Nescafé… On est obligés de tout rentrer, tu comprends, avec la peinture pour pas que ça prenne l’odeur… Alors c’est vrai pour papa ?…  

- Puisque je te le dis !…

- Je me demande… Il peut pas le voir Richard, papa… C’est pas parce qu’il l’a rencontré trois fois entre deux portes… Mais bon !… Ca fait rien !… J’m’en fous !… Alors comment tu trouves ?…         

- Quoi ?…

- Ici… Comment tu trouves ?…

- Bien… Oui, ce sera bien…

- Oui, hein ?… Un peu petit quand même… Surtout quand j’aurai ramené toutes mes affaires… Ca y est !… Antoine qui a déjà repris le pinceau… Quand je te disais qu’on peut pas l’arrêter… Heureusement que samedi il y a le mariage de sa sœur… Il va pouvoir se reposer un peu… Ah oui, tiens, à propos, tu pourrais pas lui montrer, toi ?… Parce qu’on veut que ce soit lui qui fasse les photos et on lui a prêté un appareil d’un compliqué, mais d’un compliqué, je te raconte même pas !… Tu l’as là-haut, Antoine ?… Eh bien allez-y !… Ce sera fait…

 

 

Comme toujours. Comme chaque mardi depuis…

- Depuis quand déjà au juste?

- L’année juste après la mort de ton père… En avril… Tu te rends compte toutes ces fois que ça fait…

Elle égoutte sa cuiller au-dessus de la tasse à petites secousses sèches, précises, du poignet.

- On en aura vu défiler des serveuses !… Et même des patrons…

Elle la dépose avec précision, dos en l’air, sur le rebord de la soucoupe…

- Alors comme ça tu dis que tu as des nouvelles ?

- Oui… Oh oui… Cyrille, tu sais !…

Sourire…

- Une lettre chaque semaine… Au moins… Quelquefois plus… De sa toute petite écriture serrée… Avec tout plein de détails et d’anecdotes… Et des photos… Beaucoup de photos… Pour qu’on se rende bien compte…

- Et ça lui plaît ?

- Oui… Oui et non…

- Quelle idée aussi d’aller courir là-bas !… Comment veux-tu qu’avec des gens comme ça…

- Il adore son travail… Et puis, tu sais, Cyrille a toujours été un grand solitaire… Ne voir personne, ne fréquenter personne cela ne le gêne pas beaucoup… Au contraire même…

Elle picore machinalement, du bout de l’ongle, les miettes tombées sur la nappe.

- Et Sandrine ?

- Oh, Sandrine, elle !… Ca va… Ca va…

- Tu n’as pas l’air très convaincue !…

- Si !… Oh, si !… Elle mène son petit train train à sa façon… Les études… Les copains… Alors s’il y a quelqu’un pour qui je ne me fais vraiment aucun souci…

- Oui… Eh bien tu as tort… Crois-moi , tu as tort… Vous lui laissez beaucoup trop la bride sur le cou à cette gamine !… Beaucoup trop… Vous le paierez un jour… Forcément…

- Mais non, enfin, maman, voyons, ce n’est pas parce que…

- On verra… On verra… On en reparlera…

 

 

- Tiens, tu t’y remets ?!…

- Ah non, Guillaume, non !… Ca va pas recommencer !… Je finis une malheureuse pellicule qui traînait depuis des mois dans mon appareil, un point c’est tout !… Alors je t’en prie ne va pas encore te mettre à imaginer je ne sais trop quoi…

- Mais je n’imagine rien du tout enfin !

- Si tu crois que je te connais pas !… Que je ne sais pas ce que ça veut dire quand tu prends cet air-là… Alors tu es incapable d’empêcher ta fille de faire les pires âneries, mais quand il s’agit de ta femme, d’être sur son dos sans arrêt, de trouver à redire dès qu’elle lève le petit doigt, là par contre !…

- Mais enfin tu sais très bien que…

- C’est ça !… Joue les maris modèles !… Joue les grands libéraux !… Ca te va bien… Tu veux que je t’aide ?… Que je te souffle ?… Depuis le temps, tu penses, je connais le rôle par cœur : mais voyons, Viviane, ma petite chérie, tu sais très bien que si ça te fait tellement plaisir la photo !… Mais si, mais si, c’est moi qui te le demande !… D’ailleurs tu as un vrai talent ça ne fait aucun doute, tu l’as assez prouvé… C’était vraiment très bien, très très bien, ce que tu faisais, je t’assure !… C’est quand même pas maintenant que tu vas laisser tomber juste au moment où… Et patati et patata !… Et moi, si j’ai l’idiotie de te croire, de m’y remettre comme une imbécile, je vais me passionner et quand je serai bien mordue, que je ne pourrai plus m’en passer, tu vas me trouver un prétexte quelconque… n’importe quoi… le premier truc qui te passera par la tête… Ou bien tu vas me tirer une telle gueule pendant des soirées et des soirées entières que je saurai très bien ce qui me reste à faire… Parce que rien que l’idée que je puisse vivre quelque chose - n’importe quoi - en dehors de toi ça te rend malade… Et tu as toujours tout fait - tout - pour que je…

- Mais qu’est-ce que tu racontes ?

- Ce n’est pas vrai peut-être ?

 

 

Par François - Publié dans : regards.croises
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Lundi 2 juillet 1 02 /07 /Juil 06:47

L A     L U B I E  ( 4 )

 

 

 

- Tiens, maman, tiens, c’est pour toi !…

Son bonjour du matin… Qui commence sa journée… Qu’elle attend toujours avant de se lever… Penché sur elle dans la pénombre, il l’embrasse…

- Tiens, c’est pour toi…

- Qu’est-ce que c’est ?

- Regarde !

- Mais j’y vois rien…

Le papier résiste dans le noir

- Attends !

Il tire les rideaux, revient vers elle dans la lumière… Beau… Lumineux… Souriant…

- Ca te plaît ?

- Tu es fou !… Ca coûte une fortune !

- Mon premier salaire… Je voulais que ce soit pour toi… Comme ça tu seras obligée de penser à moi quand je serai là-bas… Je serai forcément toujours un peu dans chaque photo…

Elle se relève à demi dans le lit…

- Attends, passe-moi un rouleau… Dans le tiroir là-bas… Non… Une 400… Une boîte verte… Là… Oui… Merci… Je veux que la première photo soit une photo de toi… Mets-toi là !… Ne bouge pas…

 

 

- Une riche idée il a eue Cyrille, je t’assure !… Tout ce que je veux je peux faire avec ça… Des photos de rêve… Cet après-midi j’ai arpenté tout un tas de petits villages du côté de Luzarches… Superbes et hors du temps… Tout ça dans cinq ans ça aura disparu… Il n’en restera plus la moindre trace… Demain je file au labo… Je développe et je tire tout ça… Et vendredi j’y retourne… J’affinerai… Je vais faire des trucs géniaux, je le sens… Et la semaine prochaine Senlis… J’y suis passée à toute allure ce matin… Là aussi il y a…

- Mais c’est plus de l’amour, c’est de la rage !

- Ah non, Guillaume, tu vas pas t’y mettre, toi aussi !

 

 

- Ecoute… Allo… Ecoute… C’est moi… Ecoute, pour Senlis je ne viendrai pas…

- Qu’est-ce qu’il y a ?… Il se doute de quelque chose ?

- Non… Oui… Non… Je sais pas… C’est pas ça…

- C’est quoi alors ?

- Tout ce qu’on a dit hier… J’ai réfléchi… Ca ne peut plus durer… Je suis bien décidée… Je ne veux pas que…

- Tu as peur…

- Mais non je n’ai pas peur, mais…

- Si, tu te fais peur…

- Mais non, mais…

- Alors viens !… Si tu n’as pas peur, viens !… On en parlera…

- Maintenant ?… Tu es fou…

- Viens !

- Je n’aurais jamais dû te téléphoner… Dès que j’entends ta voix je…

- Viviane !…

- Quoi ?

- J’ai envie de toi…

- Tais-toi !

- Et toi ?

- Quoi, moi ?

- Tu as envie ?

- Non…

- Menteuse !… Dis-le !…

- Quoi ?

- Que tu as envie…

- Oui…

- Dis-le !… Dis : j’ai envie…

- J’ai envie… Oui…

- Alors tu viens ?

- Oui… Je suis folle… Oui, je viens… Oui…

 

 

- Où ça ?

- Etretat…

- Et tout le week end ?

- On rentre lundi…

- Ton père est au courant ?

- Mais bien sûr, maman, enfin !

- Et il en dit quoi ?

- Mais rien du tout !

- S’il trouve ça très bien…

- Ecoute, maman, j’ai 18 ans !… Je suis assez grande pour savoir ce que j’ai à faire…

- Oui… Eh bien ça on pourrait quelquefois se le demander… En tout cas tu me feras le plaisir de ranger ta chambre avant de partir… Je me demande comment tu peux vivre dans un gourbi pareil…

 

 

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- Qu’est-ce que ?… Mais rien du tout… Qu’est-ce que tu veux qu’il y ait ?

- Tu vois pas ta tête !

- Ma… Mais enfin, Viviane !

-Dis-le si tu as quelque chose à dire… C’est agaçant à la fin… Tu vas pas me faire la gueule comme ça toute la soirée…

- Je ne fais pas la gueule…

- Si !… Si, tu fais la gueule… Si !… Tu fais la gueule parce que je suis allée faire des photos à Senlis et que tu as passé le samedi tout seul… Et tu as horreur de ça… Je te connais, tu sais !

- Mais pas du tout !… J’ai…

- Reconnais quand même qu’en 25 ans de mariage je n’ai pas abusé, non ?… Et pour une fois, une seule fois, que quelque chose me passionne il faut que tu fasses tout ce que tu peux pour tout gâcher… Et tu sais pourquoi ?… Parce que tu es un égoïste… Parce que tu ne supportes pas que je vive quoi que ce soit en dehors de toi… Dès le début je l’ai su… Dès que je me suis inscrite là-bas… Je savais qu’un jour ou l’autre tu finirais par trouver un prétexte – n’importe quoi – pour m’empêcher de continuer… Voilà… Tu es content maintenant : tu as trouvé…

- Si ça doit te mettre dans des états pareils je crois qu’il vaut effectivement mieux que tu arrêtes…

- Tu vois… Tu vois… Qu’est-ce que je disais !?… Tu n’attendais que ça…

- Ecoute, s’il te plaît, sois gentille… J’ai eu une semaine éreintante et je n’ai pas du tout envie de…

- Oh, rassure-toi !… Je vais te la rendre ta tranquillité… Puisqu’il n’y a que ça qui compte… Puisque ça doit passer avant tout le reste… Puisqu’il y a des mois que tu n’attends que ça… Rassure-toi : j’ai compris… Je vais faire ce qu’il faut pour… Une fois de plus…

 

 

- Ah oui ?!… C’était couru… De toute façon c’était couru… Ils sont douteux ces cakes, tu trouves pas ?… Depuis le temps qu’on est clientes ils pourraient quand même faire attention, non ?… Finalement ça t’est passé comme ça t’était venu, quoi !… Du jour au lendemain… Comme d’habitude…

La nuit est presque tombée…

- Oh, j’en avais fait le tour !… Je peux me débrouiller toute seule maintenant…

- Oui… Ou laisser tous tes appareils dans un coin… Probable d’ailleurs…

La nuit est tombée…

- Si tu venais manger avec Guillaume dimanche ?… Avant ta prochaine lubie…

Par François - Publié dans : regards.croises
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