regards.croises

Jeudi 5 juillet 4 05 /07 /Juil 07:06

L A     L U B I E ( 5 ) 

 

 

 

- Mais oui, maman, je sais… je sais !… Tu me l’as déjà dit cent fois… Entre plutôt… Tu connais Richard… Vous pouvez vous embrasser maintenant quand même, non ?!… Lui, là, c’est Antoine… Un copain qui habite juste au-dessus… Enfin au-dessus du dessus… Il nous aide pour l’installation, l’électricité, repeindre la cuisine, tout ça… Heureusement qu’on l’a, sinon… Lâche ton pinceau deux minutes, Antoine !… Viens avec nous : on va se boire un thé… Quand il est lancé, lui, plus moyen de l’arrêter… Alors comme ça papa n’a pas voulu venir avec toi ?…

- Mais non, Sandrine, enfin, non !… Pas du tout !… Qu’est-ce que tu vas chercher ?… Non… Seulement, comme par un fait exprès, juste au moment où on allait partir voilà Lambert qui s’amène… Tu connais Lambert : ils y seront encore ce soir… Du coup je suis venue toute seule… - Non, Richard, non… Au-dessous le thé… Derrière le Nescafé… On est obligés de tout rentrer, tu comprends, avec la peinture pour pas que ça prenne l’odeur… Alors c’est vrai pour papa ?…  

- Puisque je te le dis !…

- Je me demande… Il peut pas le voir Richard, papa… C’est pas parce qu’il l’a rencontré trois fois entre deux portes… Mais bon !… Ca fait rien !… J’m’en fous !… Alors comment tu trouves ?…         

- Quoi ?…

- Ici… Comment tu trouves ?…

- Bien… Oui, ce sera bien…

- Oui, hein ?… Un peu petit quand même… Surtout quand j’aurai ramené toutes mes affaires… Ca y est !… Antoine qui a déjà repris le pinceau… Quand je te disais qu’on peut pas l’arrêter… Heureusement que samedi il y a le mariage de sa sœur… Il va pouvoir se reposer un peu… Ah oui, tiens, à propos, tu pourrais pas lui montrer, toi ?… Parce qu’on veut que ce soit lui qui fasse les photos et on lui a prêté un appareil d’un compliqué, mais d’un compliqué, je te raconte même pas !… Tu l’as là-haut, Antoine ?… Eh bien allez-y !… Ce sera fait…

 

 

Comme toujours. Comme chaque mardi depuis…

- Depuis quand déjà au juste?

- L’année juste après la mort de ton père… En avril… Tu te rends compte toutes ces fois que ça fait…

Elle égoutte sa cuiller au-dessus de la tasse à petites secousses sèches, précises, du poignet.

- On en aura vu défiler des serveuses !… Et même des patrons…

Elle la dépose avec précision, dos en l’air, sur le rebord de la soucoupe…

- Alors comme ça tu dis que tu as des nouvelles ?

- Oui… Oh oui… Cyrille, tu sais !…

Sourire…

- Une lettre chaque semaine… Au moins… Quelquefois plus… De sa toute petite écriture serrée… Avec tout plein de détails et d’anecdotes… Et des photos… Beaucoup de photos… Pour qu’on se rende bien compte…

- Et ça lui plaît ?

- Oui… Oui et non…

- Quelle idée aussi d’aller courir là-bas !… Comment veux-tu qu’avec des gens comme ça…

- Il adore son travail… Et puis, tu sais, Cyrille a toujours été un grand solitaire… Ne voir personne, ne fréquenter personne cela ne le gêne pas beaucoup… Au contraire même…

Elle picore machinalement, du bout de l’ongle, les miettes tombées sur la nappe.

- Et Sandrine ?

- Oh, Sandrine, elle !… Ca va… Ca va…

- Tu n’as pas l’air très convaincue !…

- Si !… Oh, si !… Elle mène son petit train train à sa façon… Les études… Les copains… Alors s’il y a quelqu’un pour qui je ne me fais vraiment aucun souci…

- Oui… Eh bien tu as tort… Crois-moi , tu as tort… Vous lui laissez beaucoup trop la bride sur le cou à cette gamine !… Beaucoup trop… Vous le paierez un jour… Forcément…

- Mais non, enfin, maman, voyons, ce n’est pas parce que…

- On verra… On verra… On en reparlera…

 

 

- Tiens, tu t’y remets ?!…

- Ah non, Guillaume, non !… Ca va pas recommencer !… Je finis une malheureuse pellicule qui traînait depuis des mois dans mon appareil, un point c’est tout !… Alors je t’en prie ne va pas encore te mettre à imaginer je ne sais trop quoi…

- Mais je n’imagine rien du tout enfin !

- Si tu crois que je te connais pas !… Que je ne sais pas ce que ça veut dire quand tu prends cet air-là… Alors tu es incapable d’empêcher ta fille de faire les pires âneries, mais quand il s’agit de ta femme, d’être sur son dos sans arrêt, de trouver à redire dès qu’elle lève le petit doigt, là par contre !…

- Mais enfin tu sais très bien que…

- C’est ça !… Joue les maris modèles !… Joue les grands libéraux !… Ca te va bien… Tu veux que je t’aide ?… Que je te souffle ?… Depuis le temps, tu penses, je connais le rôle par cœur : mais voyons, Viviane, ma petite chérie, tu sais très bien que si ça te fait tellement plaisir la photo !… Mais si, mais si, c’est moi qui te le demande !… D’ailleurs tu as un vrai talent ça ne fait aucun doute, tu l’as assez prouvé… C’était vraiment très bien, très très bien, ce que tu faisais, je t’assure !… C’est quand même pas maintenant que tu vas laisser tomber juste au moment où… Et patati et patata !… Et moi, si j’ai l’idiotie de te croire, de m’y remettre comme une imbécile, je vais me passionner et quand je serai bien mordue, que je ne pourrai plus m’en passer, tu vas me trouver un prétexte quelconque… n’importe quoi… le premier truc qui te passera par la tête… Ou bien tu vas me tirer une telle gueule pendant des soirées et des soirées entières que je saurai très bien ce qui me reste à faire… Parce que rien que l’idée que je puisse vivre quelque chose - n’importe quoi - en dehors de toi ça te rend malade… Et tu as toujours tout fait - tout - pour que je…

- Mais qu’est-ce que tu racontes ?

- Ce n’est pas vrai peut-être ?

 

 

Par François - Publié dans : regards.croises
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Lundi 2 juillet 1 02 /07 /Juil 06:47

L A     L U B I E  ( 4 )

 

 

 

- Tiens, maman, tiens, c’est pour toi !…

Son bonjour du matin… Qui commence sa journée… Qu’elle attend toujours avant de se lever… Penché sur elle dans la pénombre, il l’embrasse…

- Tiens, c’est pour toi…

- Qu’est-ce que c’est ?

- Regarde !

- Mais j’y vois rien…

Le papier résiste dans le noir

- Attends !

Il tire les rideaux, revient vers elle dans la lumière… Beau… Lumineux… Souriant…

- Ca te plaît ?

- Tu es fou !… Ca coûte une fortune !

- Mon premier salaire… Je voulais que ce soit pour toi… Comme ça tu seras obligée de penser à moi quand je serai là-bas… Je serai forcément toujours un peu dans chaque photo…

Elle se relève à demi dans le lit…

- Attends, passe-moi un rouleau… Dans le tiroir là-bas… Non… Une 400… Une boîte verte… Là… Oui… Merci… Je veux que la première photo soit une photo de toi… Mets-toi là !… Ne bouge pas…

 

 

- Une riche idée il a eue Cyrille, je t’assure !… Tout ce que je veux je peux faire avec ça… Des photos de rêve… Cet après-midi j’ai arpenté tout un tas de petits villages du côté de Luzarches… Superbes et hors du temps… Tout ça dans cinq ans ça aura disparu… Il n’en restera plus la moindre trace… Demain je file au labo… Je développe et je tire tout ça… Et vendredi j’y retourne… J’affinerai… Je vais faire des trucs géniaux, je le sens… Et la semaine prochaine Senlis… J’y suis passée à toute allure ce matin… Là aussi il y a…

- Mais c’est plus de l’amour, c’est de la rage !

- Ah non, Guillaume, tu vas pas t’y mettre, toi aussi !

 

 

- Ecoute… Allo… Ecoute… C’est moi… Ecoute, pour Senlis je ne viendrai pas…

- Qu’est-ce qu’il y a ?… Il se doute de quelque chose ?

- Non… Oui… Non… Je sais pas… C’est pas ça…

- C’est quoi alors ?

- Tout ce qu’on a dit hier… J’ai réfléchi… Ca ne peut plus durer… Je suis bien décidée… Je ne veux pas que…

- Tu as peur…

- Mais non je n’ai pas peur, mais…

- Si, tu te fais peur…

- Mais non, mais…

- Alors viens !… Si tu n’as pas peur, viens !… On en parlera…

- Maintenant ?… Tu es fou…

- Viens !

- Je n’aurais jamais dû te téléphoner… Dès que j’entends ta voix je…

- Viviane !…

- Quoi ?

- J’ai envie de toi…

- Tais-toi !

- Et toi ?

- Quoi, moi ?

- Tu as envie ?

- Non…

- Menteuse !… Dis-le !…

- Quoi ?

- Que tu as envie…

- Oui…

- Dis-le !… Dis : j’ai envie…

- J’ai envie… Oui…

- Alors tu viens ?

- Oui… Je suis folle… Oui, je viens… Oui…

 

 

- Où ça ?

- Etretat…

- Et tout le week end ?

- On rentre lundi…

- Ton père est au courant ?

- Mais bien sûr, maman, enfin !

- Et il en dit quoi ?

- Mais rien du tout !

- S’il trouve ça très bien…

- Ecoute, maman, j’ai 18 ans !… Je suis assez grande pour savoir ce que j’ai à faire…

- Oui… Eh bien ça on pourrait quelquefois se le demander… En tout cas tu me feras le plaisir de ranger ta chambre avant de partir… Je me demande comment tu peux vivre dans un gourbi pareil…

 

 

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- Qu’est-ce que ?… Mais rien du tout… Qu’est-ce que tu veux qu’il y ait ?

- Tu vois pas ta tête !

- Ma… Mais enfin, Viviane !

-Dis-le si tu as quelque chose à dire… C’est agaçant à la fin… Tu vas pas me faire la gueule comme ça toute la soirée…

- Je ne fais pas la gueule…

- Si !… Si, tu fais la gueule… Si !… Tu fais la gueule parce que je suis allée faire des photos à Senlis et que tu as passé le samedi tout seul… Et tu as horreur de ça… Je te connais, tu sais !

- Mais pas du tout !… J’ai…

- Reconnais quand même qu’en 25 ans de mariage je n’ai pas abusé, non ?… Et pour une fois, une seule fois, que quelque chose me passionne il faut que tu fasses tout ce que tu peux pour tout gâcher… Et tu sais pourquoi ?… Parce que tu es un égoïste… Parce que tu ne supportes pas que je vive quoi que ce soit en dehors de toi… Dès le début je l’ai su… Dès que je me suis inscrite là-bas… Je savais qu’un jour ou l’autre tu finirais par trouver un prétexte – n’importe quoi – pour m’empêcher de continuer… Voilà… Tu es content maintenant : tu as trouvé…

- Si ça doit te mettre dans des états pareils je crois qu’il vaut effectivement mieux que tu arrêtes…

- Tu vois… Tu vois… Qu’est-ce que je disais !?… Tu n’attendais que ça…

- Ecoute, s’il te plaît, sois gentille… J’ai eu une semaine éreintante et je n’ai pas du tout envie de…

- Oh, rassure-toi !… Je vais te la rendre ta tranquillité… Puisqu’il n’y a que ça qui compte… Puisque ça doit passer avant tout le reste… Puisqu’il y a des mois que tu n’attends que ça… Rassure-toi : j’ai compris… Je vais faire ce qu’il faut pour… Une fois de plus…

 

 

- Ah oui ?!… C’était couru… De toute façon c’était couru… Ils sont douteux ces cakes, tu trouves pas ?… Depuis le temps qu’on est clientes ils pourraient quand même faire attention, non ?… Finalement ça t’est passé comme ça t’était venu, quoi !… Du jour au lendemain… Comme d’habitude…

La nuit est presque tombée…

- Oh, j’en avais fait le tour !… Je peux me débrouiller toute seule maintenant…

- Oui… Ou laisser tous tes appareils dans un coin… Probable d’ailleurs…

La nuit est tombée…

- Si tu venais manger avec Guillaume dimanche ?… Avant ta prochaine lubie…

Par François - Publié dans : regards.croises
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Lundi 25 juin 1 25 /06 /Juin 08:02

L A     L U B I E  ( 2 )

 

 

 

- Oui… Bien… Vraiment… Je suis très contente… Tu verras d’ailleurs…Je raménerai tout… Il m’a fait des tas de compliments… Tu aurais vu la tête des autres… Et jeudi j’ai le labo pour moi toute seule… Tout l’après-midi… Parce que tout le monde s’est défilé… Elles s’en foutent complètement de la photo en réalité, tu penses bien !… Elles font ça comme elles feraient autre chose… De la poterie… Ou du bouddhisme zen… N’importe quoi du moment qu’on les occupe… Alors le labo pour elles… Trop ingrat… Trop compliqué… Et puis il ne sera pas là pour les admirer… Alors quel intérêt veux-tu que ça présente ?… Franchement ?!…

 

 

- Tu sors, Sandrine ?

- Oui… Tu n’as pas vu mes chaussures bleues ?

- Avec Stéphane ?

- Mais écoute, maman, qu’est-ce que ça peut vraiment te ?… Hou hou, David !… David !… J’arrive…

 

 

 

- Ah, c’est vous !… Vous m’avez fait peur…

- Alors, qu’est-ce que ça donne ?

Il tient le film dans la lumière par les pinces au bout de ses deux bras tendus…

- C’est bon, on dirait… Oui, c’est bon…

- Le premier, je l’ai complètement gâché… J’avais oublié de le fixer…

- Ca arrive… On apprend en se trompant…

- Je continue ?… Il m’en reste un…

- Bien sûr… Bien sûr… Allez-y !…

Elle éteint, déroule le papier, tâtonne, tâtonne encore sans trouver, dans l’obscurité, la fente d’entrée de la spirale…

- Zut !… Mais c’est pas vrai… J’y arriverai pas…

- Ne vous énervez pas !

Ses doigts se posent sur ses mains, les guident, habiles, apaisants…

- Question d’habitude… Quand vous l’aurez fait deux cents fois… Là !… Faites tourner les joues… Pas trop vite… Pas si vite… Là !… Je vous laisse faire…

Ses mains, au retour, s’arrêtent sur ses hanches, de chaque côté, s’y mettent en attente d’une façon si naturelle que…

- Doucement !… Doucement les joues…

Il est léger contre elle…

- Voilà… Voilà… Ca y est… S’il vous plaît aidez-moi !… Où est la cuve ?… Elle était là… Elle…

Ses mains se déplacent…

- S’il vous plaît…

Ses mains la cherchent… Son souffle est dans son cou…

- S’il vous plaît, non !

L’interrupteur le long de la paroi en toute hâte à tout hasard… Il l’arrête, l’immobilise…

- Vous êtes folle !… Vous allez tout gâcher…

 

 

Le salaud !… Non, mais quel petit saligaud !

La voiture la protège… La voiture la rassure… Le salaud !… Il m’a prise comme une grue !… Sur la route luisante les feus arrière des voitures se répercutent en longues traînées rouges… Le salaud !… Qu’est-ce qu’il va penser de moi maintenant ?

 

 

Ecoute, Guillaume, écoute, c’est sérieux… Il faut que je te parle… Ecoute… Tu m’écoutes ?… Je ne t’ai jamais trompé, tu le sais… Jamais… Tu me crois ?… Bon, eh bien… Non… Non… Ca ne va pas du tout…

Ecoute, Guillaume, écoute !… Pour moi c’est fini la photo… Fini…. Ne me demande pas pourquoi… Ne me demande rien s’il te plaît… Non, je t’en prie… N’insiste pas, je préfère… Il s’est conduit d’une façon inqualifiable… Non… Non… Je n’ai pas envie d’en parler… Non… Ca vaut mieux, je t’assure… Non… Non… C’est encore pire…

Ecoute, Guillaume, écoute !… Nous sommes adultes tous les deux, non ?… Je n’ai jamais cherché, jamais - reconnais-le - à savoir si tu m’avais trompée… Oui ou non ?… Non… Non…

 

 

Guillaume lit sous la lampe, lève la tête, sourit, tend les lèvres…

- Ecoute, Guillaume, écoute, c’est important, je t’assure… Ca ne va pas Sandrine… Pas du tout… Il faut que tu lui parles, toi… Que tu lui dises… Vraiment… Avant qu’il soit trop tard…

 

 

- Alors ?

- Alors quoi ?

- Millefeuilles ou religieuse ?

Elles mangent, silencieuses… Des gens passent… A cette heure-là il n’y a jamais grand monde…

- Et cette lubie ?… Ca t’est passé, j’espère ?

- Quelle ?… Mais enfin, maman, je ne vois vraiment pas en quoi la photo peut bien…

- Tu n’as vraiment rien d’autre à faire ?

- Ecoute, maman, je tiens ma maison, non ?… Je fais mon travail… Je n’ai vraiment rien à me reprocher de ce côté-là et ce n’est quand même parce que…

- Une femme qui se sent bien chez elle - avec son mari et ses enfants - s’arrange pour y rester…

- Tout le monde envie mon couple avec Guillaume… Tout le monde… Tout le monde dit que…

- Alors qu’est-ce que tu as besoin de courir comme une gamine après je ne sais trop quelles balivernes ?… Parce que j’imagine que tu n’envisages quand même pas sérieusement de t’installer comme photographe ?

- Mais bien sûr que non, écoute !… Qu’est-ce que tu vas chercher ?… Les temps ont changé, maman… Aujourd’hui…

- Les temps ont peut-être changé, mais pas toi en tout cas… Qui as toujours voulu toucher à tout sans jamais rien faire vraiment… Quand je pense à la comédie que tu nous avais faite, à ton père et à moi, pour qu’on t’inscrive à l’école d’infirmières… Pour - finalement - y passer le plus clair de ton temps à apprendre l’espagnol… Juste le temps de rater tous tes examens…

Par François - Publié dans : regards.croises
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Jeudi 21 juin 4 21 /06 /Juin 07:23

L A     L U B I E ( 1 )

 

 

 

- Alors, c’était comment ?…

- Ah, tu ne dors pas ?… Tu m’attendais ?…

Guillaume sourit… Il pose son livre ouvert, retourné, sur le lit…

- Alors, c’était comment ?

- Oh, tu sais, la première fois !… On a fait connaissance… On était - quoi ? - une quinzaine… Rien que des femmes… Ou presque… Sandrine est rentrée ?… On a vu les toutes premières bases - rien de bien nouveau pour moi - l’obturateur, l’ouverture, la vitesse… A quelle heure elle est rentrée ?… Elle m’inquiète en ce moment… elle m’inquiète, je t’assure… D’abord ce David… Maintenant ce Stéphane… Qui ne me plaît pas, mais alors pas du tout… Après il nous a montré ses photos à lui… Je ne sais pas qui est allé chercher ce type ni où… un gamin…   -  25-26 ans à tout casser - ni ce qu’il vaut, mais en tout cas il a vraiment très très bonne opinion de lui-même… c’est le moins qu’on puisse dire… Tu verrais ces airs qu’il se donne… C’est à mourir de rire… Et il faut l’entendre parler des  grands photographes avec une de ces petites moues condescendantes… Il est impayable… Je ne sais pas si j’apprendrai grand chose en photo, mais en tout cas je sens que je vais bien m’amuser… Ca…

 

 

- T’es encore là, toi ?… Tu n’as pas cours ?

- Si… Anatomie… Mais, bof, tu sais… De toute façon Mylène me les passera…  Excuse-moi, Maman, tu peux pas me laisser la glace ?

- Tu peux bien attendre deux minutes quand même, Sandrine, non ?… J’ai presque fini… Et tu n’aurais pas vu mon pull gris par hasard ?

- Non… Si… J’en ai eu besoin… Il est là-haut… Tu le veux ?

- Ecoute, Sandrine, tu pourrais au moins me demander quand tu prends mes affaires, non, tu ne crois pas ?

- Oui… Oui… Dépêche-toi, maman, écoute, s’il te plaît… Stéphane va arriver…

- Stéphane ?

- Stéphane, oui…

- Et tu comptes sortir comme ça ?

- Ben oui, évidemment… Pourquoi ?

- Non… Non… Pour rien…

 

 

- Oh, pour connaître sa partie ça il connaît sa partie… On peut pas dire le contraire… Il est fort… Très fort même… Et il sait expliquer… Mais alors il t’a une de ces façons de se prendre au sérieux… C’est d’un ridicule achevé… Ce qu’il lui faudrait - ce qu’il mériterait - c’est de tomber sur quelqu’un qui le remette à sa place, qui le mouche une bonne fois pour toutes… Ca lui ferait vraiment pas de mal, je t’assure !… Et avec les femmes !… Tu le verrais se pavaner, sûr de lui, comme s’il lui allait lui suffire d’un mot, d’un claquement de doigt, pour qu’elles se couchent toutes à ses pieds… Ce que certaines sont prêtes à faire d’ailleurs… ça crève les yeux… A ce point-là c’en est même indécent… Je suis gênée pour elles… Il faudrait que tu les voies, je t’assure !… Les mines qu’elles font… Comment elles le couvent des yeux… Et lui… tu penses bien !…

 

 

- Mais non, maman, mais non enfin !… Qu’est-ce que tu vas chercher ?… La photo aujourd’hui, tu sais, tout le monde en fait…

- Quand même !

Comme tous les mardis elles sont assises face à face toutes les deux… - Ma fille peut bien consacrer une après-midi par semaine à sa mère, non ?… Toujours à la même table… - Ils en feraient une tête si on changeait de place !… Elles mangent leur éclair au café, boivent leur thé à petites gorgées tranquilles…

- C’est la technique, maman, que j’étudie…

- J’avais compris, merci… Quand même… Quand même…

Elle mastique, lointaine, réprobatrice… Sous la pluie les passants se hâtent…

- Il y en a qui ont de ces têtes, avoue !

- Mais, maman, maintenant les enfants sont grands… Ils ont leurs études, leurs amis… L’an prochain Cyrille sera au Gabon ou à Madagascar… Sandrine…

- Tu as ton mari !…

- Guillaume est un excellent mari, mais il a son travail, ses occupations, ses loisirs à lui… Je ne vais quand même pas passer mes journées à l’attendre…

- Une femme trouve toujours à s’occuper dans sa maison… Et puis si tu ne sais pas quoi faire tu peux toujours venir me voir… Parce qu’on ne peut pas dire que, jusqu’à présent, tu aies fait énormément d’efforts de ce côté-là…

Elles sont presque toujours les dernières… La nuit commence à tomber…

- J’ai quand même bien le droit de vivre un peu pour moi, non ?

- Décidément tu ne changeras jamais… Tu es incorrigible… Est-ce que tu t’es seulement demandé une seule seconde ce que ton père aurait pensé de tout ça ?

 

 

- Bonjour, maman !

Cyrille… Cyrille… Penché sur elle… Qui l’embrasse… Qui… Elle n’a jamais réussi à lui apprendre… Il la regardait avec ses grands yeux clairs, il se regardait… - Mais pourquoi ?… Elle n’a jamais su, elle n’a jamais pu… Elle a depuis longtemps renoncé… Cyrille… Bien dans son corps… Homme… Depuis longtemps homme… Et encore son enfant… Homme fort appuyé nu  au chambranle de la porte, beau, si beau dans la lumière à claire-voie…

- Je peux prendre la salle de bains ?

Cyrille qui partira… Ailleurs… Loin… Cyrille qu’elle voudrait tellement retenir… Encore un peu… Juste un peu… Seulement un peu… Jusqu’à ce que…

- Tu sauras quand ?

- Je saurai quoi ?

- Pour Nairobi… Tu sauras quand ?

- Le mois prochain… Peut-être… Ou bien après… Ca dépend…

Il s’approche, s’assied au bord du lit…

- Tu n’as pas froid comme ça ?

Il rit, fait signe que non…

- Et sinon ?

- Sinon quoi ?

- Si ça ne marche pas ?

- On verra… N’y pense pas…

Il l’embrasse…

- Je vais me laver… N’y pense pas…

Par François - Publié dans : regards.croises
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Lundi 11 juin 1 11 /06 /Juin 06:05

S T A G E      D’E C R I T U R E

 

 

 

Il était libre… Il était libre et - aussitôt - Ariane l’aima… Comme jamais - jusque là - elle n’avait encore osé aimer personne…

- C’est lui !… Cette fois c’est bien lui, Mélie, j’en suis sûre !

Dans l’herbe Mélie recommençait la même page… Pour la quatrième fois au moins… La lui tendait…

- Tu crois que ça ira ?

- Mais bien sûr que ça ira !… Tu compliques toujours tout… Ca va très bien… Très très bien… C’est lui… Enfin !… Tu vois qu’on a bien fait de venir finalement… Je le sentais… je te l’avais dit…

Mélie hochait la tête…

- Je sais pas… Je crois que je vais quand même réécrire la fin…

- Des années… Des annés que… Je suis heureuse, tu sais !… Je l’aime…

 

 

Lui aussi… Lui aussi, il l’aimait… Ca crevait les yeux…

- T’as vu comment il me regarde ?

- Je vais encore passer pour une gourde, soupirait Mélie… J’y arrive jamais… C’est tous que des profs… Ou des étudiants…

- Mais non, mais non, qu’est-ce que tu vas encore chercher ?… Te pose pas tant de questions… Ils sont très jolis tes poèmes… C’est pour moi qu’il écrit… C’est pour moi, j’en suis sûre !

Ses textes étaient si beaux, tout retenus au bord d’eux-mêmes, si délicats…

- Ca fait pas vrai, disait Mélie, ça fait copié dans des livres…

Quand il lisait il ne levait jamais la tête… Elle regardait les autres attentifs, subjugués… Leur admiration la rendait fière…

- Et c’est moi qu’il aime !… Tu te rends compte, c’est moi qu’il aime !…

Même Madame Bernier ne trouvait rien à redire… Ou des détails sans importance… Parce qu’il fallait bien… elle était là pour ça…

Quand c’était son tour à elle elle ne le regardait jamais… Juste - quelquefois - un coup d’œil très vite sur Mélie au fond…

- Arrête, écoute, quand tu fais ça ça me donne envie de rigoler…

Plus tard il lui apprendrait, il lui montrerait… Avec lui tout serait si facile…

 

 

Le soir, quand la chaleur s’épuisait, ils se réunissaient sous le tremble… Ils étiraient encore la journée, s’efforçaient de la tenir longtemps au bout de leurs mots qui trouaient le silence… Dominique ou Lydia ou Séverine lançait ses rêves tout haut, dans la pénombre, et se mettait à y croire à cause de leur silence… Pauvres chimères dont elles finiraient par se réveiller un jour, douloureuses et meurtries… Elle, elle l’avait, lui… Elle avait leur amour… Qui n’avait pas besoin de tant de grands mots…

Après, plus tard, ils étaient parmi les derniers à rentrer - à regret, à la nuit noire - quand la fraîcheur était depuis longtemps tombée… Elle songeait alors, bras sous la tête, à leur journée qui finissait, à lui qui dormait si près, à l’instant où il viendrait enfin lui dire que…

- Tu dors, Mélie ?

- Quoi ?… Qu’est-ce qu’il y a ?…

- Il m’aime… Je suis heureuse…

 

 

Le matin, quand elle se réveillait, il était déjà là-bas, à écrire, dans les taches de soleil…

- Qu’est-ce que tu fabriques encore ?… Laisse ce rideau tranquille, écoute !… Laisse-moi dormir, implorait Mélie…

Elle souriait… Il y aurait tant et tant d’autres matins comme celui-là… des matins de bonheur…

Elle descendait le rejoindre, s’installait… Pas trop loin pour être avec lui, pas trop près pour ne pas le déranger… Il ne levait pas la tête, continuait à noircir des feuillets qu’il éparpillait au fur et à mesure tout autour de lui… Elle écrivait aussi… Faisait semblant… Le regardait… Tout à l’heure il lui sourirait… Ils se lèveraient… Ils remonteraient l’allée tous les deux lentement, côte à côte, graviraient le perron et feraient leur entrée ensemble - tous les regards sur eux - dans la grande salle voûtée du petit déjeuner…

 

 

- Alors ?

- C’est mieux, tu sais, Mélie, c’est tellement mieux qu’il n’ait encore rien dit…

 

 

Et puis ce fut le dernier soir sous le tremble… Les autres échangeaient des adresses, se promettaient de se revoir - Juré, hein ? - de se tenir au courant… On n’allait tout de même pas se quitter comme ça… Lui, il se taisait… Lointain… Préoccupé… Absent… Elle savait tellement bien ce qu’il éprouvait tout au fond de lui… Elle s’approcha, silencieuse, émue et prit doucement sa main dans l’obscurité… Dans le parc ils marchèrent longtemps sans rien dire, serrés l’un contre l’autre… Ils s’arrêtèrent très loin et…

 

 

- Ca y est, Mélie !… Mélie, ça y est !

 

 

Le dimanche elle s’élança vers lui, heureuse… Elle fut dans ses bras et ils eurent leur premier restaurant… Ils se souriaient, ils se regardaient, ils se savouraient… Il l’enveloppait d’attentions et elle s’abandonnait… Ils parlèrent de leur semaine là-bas, de Madame Bernier, du stage, des autres…

- Non, mais franchement, tu as compris comment la petite Elisa était venue atterrir là ?

- Et Marion !… Qui confond les mots les uns avec les autres…

Et puis elle lui dit pour eux :

- J’ai su tout de suite… tout de suite… avant même que toi tu…

Il fit signe au garçon

- Vous pensez à nos cafés ?

Elle voulut savoir ce qu’il écrivait, mais il était devenu lointain soudain, distant…

Elle insista…

- Oh, des mômeries sans importance, conclut-il agacé… J’ai passé l’âge de jouer au génie incompris…

Elle voulut revenir à eux :

- C’est vrai… J’ai su tout de suite… Tu ne voyais que moi… Tout le monde s’en rendait compte… Tout le monde… Et j’ai compris que notre amour…

Il glissa le chèque sous l’addition, se leva…

- On va chez toi ou chez moi ?

 

 

- Tu sais, Mélie, il a tellement souffert, il s’est tellement replié sur lui-même, par la force des choses, que dire ce qu’il éprouve vraiment c’est impossible pour lui… Mais je saurai lui apprendre à se donner libre cours, tu verras…

 

 

Ils se revirent le lendemain…

- Tu comprends, ce n’est pas avec les mots qu’il exprime ce qu’il ressent… C’est avec ses yeux… Avec son corps… Avec tout lui…

 

 

Le surlendemain aussi…

- Nous sommes si bien… Si bien… Si tu savais !…

 

 

Et tout le reste de la semaine…

- Il faudra que tu penses à prendre tes dispositions parce qu’on va bien finir par s’installer ensemble, lui et moi…

 

 

Ensuite ils furent plusieurs jours sans se voir… Plusieurs longs jours…

- Il a ses occupations, ses obligations… On se verra dimanche…

 

 

Mais le dimanche matin, au téléphone…

- C’est pas vrai !… Mais pourquoi ?… Hein ?… Mais dis-leur n’importe quoi… Invente, je sais pas, moi !…

Elle insista longtemps, beaucoup… Il finit par s’emporter et par raccrocher…

- C’est contre lui-même qu’il est furieux, tu vois, Mélie… Jamais il n’a aimé avec autant d’intensité… Ca lui fait peur…

 

 

Et puis ils se virent quand lui le décidait… De temps à autre… De moins en moins souvent…

- Je ne veux surtout pas lui peser… Il faut que je sois à la fois légère et présente…

 

 

Il y eut un soir baigné de larmes…

- Tais-toi, Mélie, tais-toi, je t’en prie, ne dis rien !

 

 

Les soirs suivants aussi…

- Le salaud !… Mais tu verras, il comprendra un jour… Il s’en mordra les doigts… Seulement ce sera trop tard… pour moi ce sera fini… Et bien fini…

 

 

Il ne fut plus question de lui… Plus du tout… Plus jamais…

- T’as vu, Mélie ?… Il y a un forum d’astrologie à Montauban en novembre… On y va ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par François - Publié dans : regards.croises
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